Alexandre Douguine
Trump s’écarte de la géopolitique classique fondée sur la confrontation entre la Terre et la Mer.
Trump s’écarte de la géopolitique classique fondée sur la confrontation entre la Terre et la Mer. C’est sur ce cadre que reposait le Grand Jeu entre la Russie et la Grande-Bretagne au XIXe siècle, ainsi que pratiquement toute la géopolitique du XXe siècle – de Mackinder à la Guerre Froide et à la mondialisation unipolaire purement atlantiste que l’administration américaine a poursuivie jusqu’à la dernière minute.
Cela signifie que le facteur chinois est en train de changer de statut géopolitique. Le début de la Perestroïka de la Chine dans les années 80 fut marqué par une visite à Pékin d’une délégation d’une Commission Tripartite incluant Brzezinski (mort récemment) et Kissinger.
Leur tâche était de détacher la Chine de l’URSS une fois pour toutes, de l’inclure dans le système capitaliste mondial, d’encercler l’Eurasie, et de refermer l’anneau de l’anaconda le long de la zone côtière. Après cela, d’après les plans de mondialistes comme Brzezinski et Kissinger qui formaient le Council on Foreign Relations (CFR) et le prototype Trilatéral de Gouvernement Mondial, l’URSS s’écroulerait bientôt. En fait, la branche russe de la Commission Trilatérale, l’Institut pour l’Analyse des Sciences Appliquées de l’académicien Gvishiani dont la tâche était de détruire l’URSS de l’intérieur, figurait dans les documents de la Commission Trilatérale sur la question chinoise. Tchoubaïs, Gaïdar et Berezovsky venaient tous de là, et ils accomplirent leur mission. Mais tout commença avec la Chine.
Pourquoi ? Parce que la Chine tomba sous la tutelle du Gouvernement Mondial. Après la répression contre les manifestants démocrates sur la Place Tienanmen, la réponse des USA fut de l’indignation, mais aucune mesure ne suivit. La Chine était supposée être engagée dans le système de la mondialisation, et c’était le but principal. Il n’y a rien de personnel, dirait Kissinger, juste de la diplomatie. Les doubles standards ont depuis été acceptés depuis longtemps et sont même devenus la norme obligatoire.
D’où le miracle chinois, la combinaison de deux types de totalitarisme – le marxisme dans la politique et le libéralisme dans l’économie. Aucune démocratisation, mais autant de capitalisme que souhaité.
La Chine tira avantage de cela et se développa substantiellement. Mais comme les mondialistes agissaient strictement d’après les manuels classiques de la géopolitique, la Chine n’était encore rien de plus qu’une zone côtière. L’ennemi principal, la menace principale et le danger principal restaient la Russie, le Heartland eurasien. C’est ainsi que les choses se sont déroulées jusqu’à Trump.
Mais dans sa campagne électorale, Trump décida essentiellement d’abandonner la géopolitique. Peut-être ne connaît-il pas la géopolitique, ou peut-être n’y croit-il pas. Mais ce n’est pas très important, puisqu’il l’a rejetée. Point-barre. Et cela, pour parler franchement, est ce qui est devant nous.
Le démantèlement de la Chine soutenue artificiellement par le Gouvernement Mondial mondialiste est la suite logique de l’anti-mondialisme de Trump. Il voit le tableau global : un pays communiste totalitaire avec une population massive est en train de défier les intérêts US dans le Pacifique, menace d’annexer Taïwan, a inondé l’Amérique de camelote bon marché, vole de la haute technologie dès qu’il pose les yeux dessus, et fait tout cela avec succès. Le défi chinois est volumineux et formidable, et les taux de croissance économique de la Chine sont un défi pour les USA. Dans ce contexte, la Russie, avec son économie faible, est reléguée au rang d’un problème de seconde importance. Cela ne signifie pas qu’il y aura des politiques carrément pro-russes – il n’y en aura pas, parce que Trump est un patriote et un réaliste. Mais cela signifie que Trump va sérieusement s’en prendre à la Chine. C’est suffisant pour l’occuper durant sa présidence.
Nous devons certainement tirer avantage de cela. Cela ne signifie pas que nous devrions abandonner notre partenariat avec la Chine et nous accrocher à Trump. Ce ne serait pas digne d’une grande puissance. Mais le conflit sino-américain n’est simplement pas notre affaire. Si l’attention de Washington se concentre sur l’Extrême Orient, alors nous avons la chance de résoudre rapidement nos tâches au Moyen Orient et, plus important, dans l’espace eurasien. Si Trump ignore la géopolitique, alors il ne prêtera pas trop d’attention à cela. Du moins je l’espère.
A propos, concernant la Chine : je ne pense pas que tout aille bien pour l’idéologie [au pouvoir] en Chine. Il y a clairement une crise du Mandat du Ciel que Mao avait reçu un certain jour. Derrière la façade des succès ostentatoires, la société chinoise se dirige vers la crise. Mais, une fois de plus, c’est seulement leurs affaires chinoises.
source: https://www.geopolitica.ru/fr/article/la-chine-le-grand-jeu-et-le-mondialisme